UN TCE NON DEMOCRATIQUE
« Notre Consitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d’une minorité, mais du plus grand nombre » : Cette phrase citée par Thucydide, voule par la Convention ayant élaboré le Traité établissant une Constitution pour l'Europe (TCE), a finalement été écartée par la conférence des chefs d'état.Aveu ?
Depuis le premier scrutin européen (élection du Parlement) en 1979, la participation globale n’a cessé de décroître, traduisant un besoin non satisfait d’implication démocratique et une désaffection chronique de l'électorat.
Si l’Europe est en crise, cela ne date pas d’hier. En privilégiant, les décisions prises dans le secret, en n’associant pas les peuples (Maastricht). Certains en viennent à déclarer qu’ils auraient préféré la voie parlementaire pour ratifier le Traité instituant une Constitution pour l'Europe (TCE), sous entendu le peuple est trop bête pour comprendre et décider.
Si en reprenant une définition de base, la démocratie se définit comme le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, nous allons voir que pour le TCE, il n’en est rien.
I – Des vices démocratiques majeurs de l’élaboration à la révision
Comme nous le détaillons ici, ce texte a été élaboré sans mandat démocratique - pas d’assemblée constituante mandatée, solennelle et désintéressée - comme il est d’usage.
Ce TCE comporte 448 articles. Il est complété par 36 protocoles, 2 annexes et 39 déclarations pour un total de presque 800 pages. La partie III qui traite des politiques de L’Union est quasiment illisible tant elle fourmille de renvois, d’exceptions, d’exclusions… Les articles de la partie III renvoient 314 fois à l’intérieur même des 321 articles la composant. L’architecture et les règles communes sont d’une complexité toute technocratique. Visiblement le TCE n’a pas été rédigé pour être lu et compris. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Pour rappel, la Constitution française ne comporte qu’une trentaine de pages, la Constitution américaine une dizaine, et la Constitution allemande une quarantaine.
Article I-47§4 : « Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution ».
Cet article, régulièrement mis en avant par les partisans du TCE comme une avancée majeure reste d’une portée très limitée. En effet :
- La Commission n’est pas contrainte mais seulement invitée ;
- Combien de ressortissants ? Combien d'états ?
- Et surtout l’objet de cette pétition ne peut ni remettre en cause des dispositions du TCE, ni en introduire de nouvelles mais seulement préciser ce que serait l’existant.
Le second argument majeur des partisans du oui réside dans la possibilité de mise en oeuvre de "coopérations renforcées" (art. I-44 et III-416 à III-423). Dans une Europe à 25, il s’agirait de permettre à 10 états de s’associer pour mener des politiques sans les 15 autres. Mais plusieurs verrous sont prévus :
- les coopérations renforcées ne s’appliquent pas dans les domaines de compétence exclusive de l’Union à savoir (Art I-12-§1) notamment l’union douanière, les règles de concurrence dans le marché intérieur, la politique monétaire,
- Une coopération renforcée n’est possible que si (Art 41§2) : « les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble et à condition qu’au moins un tiers des états membres y participent »,
- Une coopération renforcée nécessite le feu vert de la Commission (Art 419-§1) : quand on connaît les orientations constantes de la Commission, appliquée à imposer le néo-libéralisme, avec l’aval du Conseil, sur le dos de l'intérêt général, on ne peut que s’interroger.
Si avec tous ces verrous, la montagne accouche finalement d’une souris, ce sera bien un maximum.
Le TCE va innover. En effet, et c’est sans précédent, il va falloir l’unanimité pour réviser le TCE. Rappelons qu’en France, une révision appartient soit au peuple par la voie du référendum soit au Congrès (Assemblée Nationale + Sénat) réuni à Versailles votant ensemble à la majorité des 3/5. Il en est ainsi dans toutes les constitutions « démocratiques ».
Quant à l’article IV-446, il précise que « le présent traité est conclu pour une durée illimitée »
II – CONSTITUTIONALISATION DES POLITIQUES
Si les parties I (les objectifs et les institutions de l’union), II (la Charte des droits fondamentaux) et IV (dispositions générales et finales), ont effectivement leur place dans un texte constitutionnel, l’essentiel de la partie III (celle traitant des politiques) soit 214 articles (sur les 321 de la partie III et sur les 448 de l'ensemble du traité) n’a rien à faire dans une constitution. Comme nous le rappelons ici, une constitution énonce des grands principes généraux et fixe le cadre institutionnel. Pour la première fois dans l’histoire des constitutions, des choix politiques seraient inscrits dans le TCE, lesquels ne relèveront plus du débat démocratique. Qui veut la mort de la politique ?
Notre analyse complète de ce point ici.
L’Europe s’interdit toute barrière douanière, quand bien même ses partenaires commerciaux – Japon, USA, Chine,… - ne s’en privent pas.
Ainsi dans ces 2 domaines essentiels, l’Europe, face à une concurrence réactive choisit de se lier les pieds et les mains, dans une posture toute idéologique. Que l’ensemble de l’échiquier politique puisse en débattre et avoir des positions différenciées est normal, mais se priver de la liberté de choisir paraît tout simplement stupide – et si l’environnement économique venait à changer ?
Le TCE précise (Art 41§2) que la politique de l’Union doit être compatible avec la politique arrêtée dans le cadre de L’OTAN. Si cela concerne effectivement 20 des 25 états, cela constitue une référence – unique dans les constitutions – à la soumission à un état étranger, et de fait une politique de défense européenne indépendante deviendrait impossible.
Le TCE précise ensuite à l’article I-41§3 que « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Si nous sommes bien conscients de l’importance d’une politique de défense européenne autonome, il s’agit ici d’un engagement à la hausse continue de des budgets militaires, qui profitera au complexe militaro-industriel européen et américain. Une nouvelle fois, les Etats ne pourront même plus décider eux-mêmes de l’évolution de leur budget de défense.
Notre analyse complète de ce point ici.
L’article III-227§1 précise que le premier objectif de la PAC reste l’accroissement de la productivité, le développement rationnel de la production ainsi que l’emploi optimum des facteurs de production notamment de la main d’œuvre.
Le TCE, fort des 45% que représentent la PAC dans le budget européen, entérinerait une agriculture productiviste - alors que ce modèle a déjà montré ses limites et suscite un débat légitime : vache folle, OGM, biotechnologies, malbouffe…
En conclusion, nous citerons les mots d’Yves Salesse (fondation Copernic – Flash Janvier 2005) :
Tout cela illustre bien nos deux critiques essentielles :
1° Le traité constitutionnel, qui serait la norme supérieure pour les institutions de l’Union et les Etats membres, est truffé d’obligations et d’interdictions très précises qui n’y ont pas leur place, qui seraient ainsi soustraites au débat, à la décision courante des instances politiques et donc au changement. Il faut noter que les défenseurs du Oui ne répondent jamais à cette critique première sur ce vice anti-démocratique radical ; quand ils ne mentent pas délibérément en affirmant que ce texte n’est qu’un contenant et que l’on décidera plus tard du contenu.
2° Toutes ces dispositions sont la traduction juridique des politiques libérales et font obstacle à la mise en œuvre de politiques différentes.
III – DES INSTITUTIONS PAS OU PEU DEMOCRATIQUES
Le TCE confirme et fixe définitivement une immense concentration de pouvoirs entre les mains du Conseil et de la Commission. Ce dispositif cristallise – depuis longtemps - toutes les critiques à l’égard de la démocratie dans l’Union, et nous pensons qu’il devrait être profondément réformé, bien au-delà des maigres progrès contenus dans le TCE. A cet égard la victoire du non sera une chance historique de donner le jour à une Europe institutionnellement démocratique, plus proche de ses citoyens.
L’article I-23 précise que « le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement les fonctions législatives et budgétaires. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination. Le Conseil exerce donc un double pouvoir législatif et éxecutif. De plus, et malgré l’extension de la procédure de codécision, le Conseil légifère seul dans plus de 20 domaines (harmonisation des taxes sur le chiffre d’afafires des entreprises, impot sur les sociétés, réduction de la libre circulation des capitaux, la sécurité sociale et la protection sociale). Dans plus de 50 domaines, le vote à l'unanimité du Conseil reste la règle, notamment dans des domaines qui pourraient équilibrer le marché.
Attributions
La commission est la clé de voûte des institutions puisqu’elle a un pouvoir très étendu.
Souvent présentée comme un simple pouvoir exécutif, la commission se voit en réalité confirmer par le TCE un champ bien plus large.
La Commission garde le monopole d’initiative des lois européennes (Article I-26). Traditionnellement, un parlement dispose également de ce droit d’initiative. Ici, la commission verrouille.
De façon toute aussi symptomatique, dans le domaine de la concurrence (politique industrielle, services publics), la Commission cumule les trois pouvoirs législatif (elle propose les lois), exécutif (elle applique) et judiciaire (elle sanctionne). Par exemple, l'autorisation donnée à Novertis par la Commission de commercialiser du maïs génétiquement modifié.
Le génie français avait, il y bien longtemps, déjà compris où cela mènerait :
Article XVI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :
Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.
Fonctionnement
La structure de la commission pose de très graves questions :
- Représentativité : les commissaires sont désignés, via le Conseil, par les gouvernements des états membres et on s’éloigne donc toujours plus d’une désignation démocratique directe. A corréler à la désaffection du peuple électeur pour l’Europe ? Bien souvent (Barroso, Mandelson...), les commissaires se recyclent à Bruxelles après avoir été battus ou évincés dans leur pays... Moins choisis par la politique qu'ils entendent mener que par leur nationalité, que représentent-ils au juste ? De plus, la Commission est dans sa composition une représentation des états membres et non des citoyens. Ainsi, les commissaires issus d’états représentant 4% de la population de l‘Union sont plus nombreux que ceux issus d’états représentant 75% de l’Union.
- Indépendance : le TCE contient une touchante déclaration d’intention à l’article I-26§1 qui précise que « la Commission promeut l’intérêt général » ou de la déclaration tout aussi mensongère qui dit à l’article I-26§ 4et 7 que « les membres de la Commission sont choisis .. parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance » ou « que les membres de la Commission ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ». En réalité, la commission est – et restera donc – le lieu de la confusion des intérêts, entre milieux d’affaires omniprésents à Bruxelles et commissaires à la neutralité contestable (voir par exemple le CV de la commissaire à a concurrence, le commissaire au Commerce passant le réveillon sur le luxueux yacht du deuxième actionnaire de Microsoft, dossier sur lequel il travaille ; les vacances de Barroso avec un armateur grec...). Souvent – sur la directive Bolkenstein, sur la brevetabilité du vivant, des logiciels, et autres sujets innombrables, les intérêts des transnationales passent, grâce à la Commission, avant l’intérêt général.
- Secret : qu'est-ce qui justifie que la commission, puisse mener un certain nombre d'activités secrètes ? A l'aune des deux points précédents, on comprend bien qu'ils aient des choses à cacher, notamment dans le comité 133 en charge de négociations commerciales, mais devons-nous les laisser faire ?
Politique ou technocratie ?
La courroie de transmission du message démocratique (électeurs -> députés -> ministres -> conseil de l’Europe -> commissaires) est tellement longue que la Commission semble agir en dehors de toute impulsion populaire. A tel point que la Commission a souvent mené des politiques ouvertement libérales même quand, par exemple en 1999, 12 des 15 gouvernements étaient sociaux-démocrates.
La commission, sur l'ensemble des critères mentionnés précédemment, fonctionne plus comme une grande administration : une fois nommés, ses dirigeants ont une grande autonomie dans leur action, agissent dans une transparence limitée et rendent peu de comptes. Puisqu'ils n'ont pas de mandat, ils ne font pas de politique, ce sont des "gestionnaires". Or ce sont bien eux qui produisent de profondes réformes qui affectent profondément notre quotidien (n'est-ce pas toujours "la faute à Bruxelles" ?), il est donc urgent de les remettre au centre du débat et de faire de la politique, au sens noble.
Le statu quo ? Laisser la commission dans sa stratosphère ? Acter sa déconnexion totale de la démocratie et du débat ? Exiger de Pascal Lamy (qui refuse le débat démocratique) qu'il rende sa carte du PS ?
En guise de conclusion provisoire, on ne saurait trop conseiller la première partie du livre de R.M. Jennar « l’Europe, la trahison des élites », qui décrit et analyse les dérives et imperfections du système, avec force exemples. Le TCE n'y changera rien.
Le traité de Rome avait prévu une assemblée représentant les parlements nationaux. Son rôle était purement consultatif. On voit qu’aujourd’hui, il porte encore les stigmates de son rôle originel.
Certains citoyens sont plus égaux que d’autres : voir notre tableau de la représentation des peuples au sein du Parlement.
Le Parlement européen n’a toujours pas le droit de proposer des textes législatifs, fonction essentielle s’il en est d’un Parlement. C’est à la Commission (Art I-26§2) que revient cet attribut essentiel. Il peut simplement faire des propositions à la Commission qui reste libre d’y donner suite ou non.
Article III-332 Le Parlement européen peut, à la majorité des membres qui le composent, demander à la Commission de soumettre toute proposition appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l'élaboration d'un acte de l'Union pour la mise en oeuvre de la Constitution. Si la Commission ne soumet pas de proposition, elle en communique les raisons au Parlement européen.En ce sens, le Parlement n’est pas mieux traité qu’un million de pétitionnaires.
Le Parlement reste écarté de toutes décisions sur les recettes de l’Union. Il se contente de donner son avis sur les propositions de la Commission.
La codécision est prévue dans différents domaines, en tant que décision "conjointe" du législatif et de l'éxécutif. En réalité, le Conseil et la Commission sont nettement avantagés par rapport au Parlement. Le long article III-396 détaille la procédure. Lorsque la Commission propose une loi (monopole d’initiative), que le Parlement veut adopter un amendement, et que la Commission le refuse, il faut l’unanimité du Conseil pour qu’il puisse être adopté. Cela signifie que pour que le parlement puisse amender un texte de la Commission contre son avis, le pouvoir de décision revient au final au Conseil. La codécision est donc très déséquilibrée.
Droit de veto : théoriquement, le Parlement peut censurer la Commission à la majorité des 2/3 (Article III-340), mais puisque les commissaires sont tous issus des 2 grands partis ultra majoritaires au Parlement...
On peut également lire dans certains tracts - où la mauvaise foi (pour rester poli) l’emporte sur l’analyse précise du TCE - que le Parlement élirait le président de la Commission. L’article I-27§1 nous dit précisément que c’est le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée qui propose au Parlement un candidat à la fonction de président. Le Parlement est donc prié d’entériner ou non le choix. S’il refuse, les gouvernements doivent proposer un autre candidat.
Malgré ce tableau où le Parlement - seul organe à peu près démocratique - reste le maillon très faible des institutions, les militants du oui dansent sur les tables. Ils ne trompent que les imbéciles. Le Parlement présenté au grand public comme le siège de la souveraineté populaire n’est en fin de compte qu’une caricature d’institution parlementaire.
Alors, démocratiques, ces institutions, grâce au TCE ? Eh bien non, malgré quelques fioritures - un président médiatique, un ministre des affaires étrangères aphone, quelques domaines politiques passant à présent par le parlement - toujours pas vraiment. Si j'était prof, je passerai la note de 3 à ... 4/20 ? C'est le sujet majeur de ce référendum : il faut réformer en profondeur les institutions européennes afin que les citoyens acceptent de leur confier leur destin. Le non est une chance.